L’angoisse de mort

Dans cet article, nous allons nous pencher sur une des quatre angoisses existentielles : la mort. Même si nous tentons ici de décortiquer celle-ci, les quatre angoisses sont intrinsèquement liées et il n’est pas aisé de les distinguer les unes des autres, celles-ci se faisant écho en permanence. Pour rappel, les trois autres sont : la liberté, la solitude, la quête de sens. Mais plongeons-nous d’abord dans ce qui est peut-être l’angoisse la plus évidente : l’angoisse de la mort.

Différentes conceptions de la mort

Dans notre société occidentale, ce thème est rarement affronté en face, presque tabou. Nous usons de métaphores pour parler d’un décès (« Il est parti au ciel » ou « Elle nous a quitté »), un malaise s’installe lorsque le sujet est abordé et le sujet préfère être évité (« Et si nous parlions de quelque chose de plus joyeux ? »)…
Dans les courants de psychothérapie aussi, le thème de la mort fut éludé pendant longtemps. La mort, événement du futur, n’était pas considéré comme pouvant avoir une influence sur notre comportement présent.

Cela peut paraître étrange lorsque l’on sait que tout converge vers cet événement, notre mort, et que celle-ci est la condition inévitable de notre existence !

En effet, la mort est la seule certitude que nous avons sur la trajectoire de notre vie : un jour, nous mourrons. Nous ne savons ni comment, ni où, ni quand, mais une chose est sûre et certaine : nous allons mourir un jour.

De ce fait, notre finitude a depuis toujours été une des préoccupations fondamentales de l’être humain.
De nombreuses sagesses anciennes nous indique le chemin vers la bonne mort.

Les bouddhistes tibétains ont écrit le Bardo Thadol, le livre tibétain de la vie et de la mort qui explique les différentes étapes de la conscience lors ce moment final de l’existence physique et permet ainsi d’accompagner le défunt dans ce dernier voyage.

Pour les hindous, mourir signifie se libérer de l’état dans lequel nous sommes pour passer à un autre état, meilleur. Loin d’être un tabou, elle fait partie intégrante du quotidien et est visible à tous, dès la plus tendre enfance – en témoignent le culte des ancêtres ou les célèbres images des rites funéraires à Varanasi par exemple, où durant de longues cérémonies, les corps des morts sont brûlés puis jetés dans le fleuve sacré du Gange. Rien dans les processus autour de la mort n’est caché, tabou.

Dans l’Egypte antique également, cette vie sur Terre est conçue comme une préparation pour la vie au-delà. La deuxième vie, après la mort physique, est bien plus importante que la première vie terrestre.

Les religions occidentales nous proposent également des voies pour faire face à la mort – notamment avec le paradis, le purgatoire et l’enfer.

Lorsque nous nous plongeons dans ces cultures anciennes, où la mort est vue comme un événement banal du quotidien, un début, un voyage, une libération, il est intéressant de constater que, au contraire, notre culture, perçoit la mort comme le néant et la fin de tout – peut-être n’est-ce alors pas étonnant, qu’avec de telles croyances, la mort soit si effrayante pour nous !

Si chez nous, la mort représente un échec de la médecine, ce n’est pas le cas chez tout les peuples. En effet, de nombreux peuples racines (les peuples premiers ou encore autochtones représente aujourd’hui 300 millions de personnes dans 600 communautés et environ 70 pays) ne considèrent pas la mort comme un échec puisque même si le corps meurt, c’est l’âme qu’il s’agit de soigner durant notre vie terrestre. Ces traditions accompagnent donc ce passage, considérant la mort comme le terreau de la vie.

Dans les sociétés occidentales, au contraire, la mort est tabou, « et plus c’est caché , plus ça inquiète les gens, car on pense qu’après la mort, il y a le vide. » selon Mahamane Touré (cité par F. Van Ingen, 2021).

Pour nous, et selon la formule de Kierkegaard, philosophe occidental, la vie est la « possibilité de la possibilité ». La mort représente alors « l’impossibilité de toutes possibilités » (Kierkegaard, cité dans Yalom, 1980). Elle est notre « deadline », la ligne finale de notre existence, après quoi il n’y a plus que le rien, le vide, le néant – ou du moins, aucune certitude sur l’après. La mort représente cette ultime limite qui structure notre existence et en est le point final.

Dès la plus petite enfance, nous y sommes confrontés. Lorsque les grands-parents meurent ou qu’il joue à tuer des fourmis, l’enfant se rend compte des conséquences de la mort : l’absence de l’autre, le froid, l’immobilité, la fin de la vie. La confrontation à la mort, à l’extinction, se fait aussi chez l’enfant indirectement, par le vécu de situation d’abandon, de délaissement (Vogel, 2016).
En effet, dès l’âge de trois ans une compréhension naïve de la mort a lieu même si c’est véritablement entre 5 et 7 ans que l’enfant comprend les notions plus complexes d’universalité ou d’irréversibilité liée à la mort (Speece and Brent, 1984). Cette compréhension de la mort, pas possible avant l’acquisition des capacités d’abstraction, est le signe d’une maturité psychologique.

Naturellement, l’enfant questionne alors les manifestations et le sens de la mort.
Quelle réponse y apportons nous dans notre société ? Nous éludons, cachons.

L’angoisse face à la mort

Ainsi, la psychothérapie existentielle estime que le fait de cesser d’exister et de ne pas savoir ce qui vient après la mort est une source majeure d’angoisses pour l’individu.

Nous discernons trois grandes angoisses liées à la mort :

1 . La peur de l’inconnu : « Qu’y a t’il après la mort ? »

  1. La peur de souffrir : « Et si c’est douloureux ? »
  2. La crainte de disparaître : « Mon corps ne sera plus et je vais tomber dans l’oubli. »
    En effet, notre ego, ce qui s’accroche en nous à ce « Je », a effectivement peur de disparaître.

La mort soulève également la question du sens, avec des pensées telles que « Pourquoi sommes nous-là si nous mourrons de toute façon ? Cela ne sert à rien de vivre, nous sommes voués à disparaître. » Nous y reviendrons plus tard et dans un autre article sur le thème de la quête de sens (pour rappel, le sens de la vie est également une des angoisses existentielles).

Ces questions SONT vertigineuses – rien d’anormal donc à ressentir une légère angoisse face à ce vaste sujet !

Cependant, cette tension qui découle entre l’inévitabilité de la mort et le désir de continuer d’exister, si elle n’est pas sublimée, peut générer des angoisses et des symptômes psychopathologiques (Menzies, 2019).

En effet, l’angoisse de mort peut avoir différents degrés : cela va d’une légère inquiétude jusqu’à un trouble anxieux ou panique qui vient invalider la personne dans son quotidien. L’individu peut tout autant avoir peur de sa propre mort que de celle de ses proches.

Dans l’extrême, la personne est atteinte de thanatophobie, la phobie de la mort.
L’individu est alors tellement effrayé par la mort qu’il se met à éviter les lieux qui l’évoquent comme les cimetières ou les hôpitaux. Il peut avoir des tendances hypocondriaques, c’est-à-dire qu’il est obsédé par son état de santé et persuadé qu’il est atteint d’une maladie (Aan de Stegge, et al., 2018). Aussi, des études ont montré le lien entre angoisse de mort et symptômes dépressifs chez des personnes âgées (Templer, 1971). Il semble également y avoir un lien entre conduites addictives et angoisse de mort (Abdel-Khalek, 2002). L’angoisse de mort peut être à l’origine d’attaque de panique avec des symptômes tels que le coeur qui bat, les mains moites, des tremblements.. accompagnés d’une angoisse très élevée.

Ainsi, pour pallier à l’angoisse de mort, l’humanité a depuis toujours élaboré des mécanismes de défense afin de survivre symboliquement. Il peut notamment tenter de survivre à travers sa progéniture (Chapouthier, 2011), d’adhérer à des croyances ou encore de laisser une trace matérielle via des œuvres ou des contributions (Chapouthier, 2011).

Selon Yalom (1980), deux stratégies majeures sont mises en place par l’individu pour faire face à l’angoisse de mort:
il peut se penser tout-puissant, spécial, au-dessus de la mort (« cela touche les autres mais pas moi »). Cela se traduit par des comportements tels que l’héroïsme compulsif (« je n’ai besoin de personne », recherche d’exploits, parfois au péril de sa vie), le narcissisme, l’agressivité et le contrôle (désir de pouvoir)…
ou l’individu peut chercher refuge en un sauveur ultime tel qu’une figure divine ou une autre personne, au risque de s’enfermer dans une relation où il se perd lui-même et de voir un jour ce sauveur défaillir, perdant alors toutes béquilles face à l’angoisse de mort.

Évidemment, d’autres comportements tels que la recherche frénétique de partenaire sexuel (Watter, 2018), la fusion et la dépendance, etc., peuvent être vus comme des recherches de dissipation de l’angoisse de mort, et si trop extrême, peuvent limiter les comportements et possibilités de la personne.

Ainsi est apparue l’idée que la conscience de notre finitude influe grandement sur notre manière de vivre. En effet, si la conscience devient angoisse, l’individu utilise des mécanismes de défenses dysfonctionnels, qui peuvent entraver son bonheur ou celui des autres, voire créer des pathologies.

Si vous souffrez d’angoisse de mort trop importante, des interventions thérapeutiques, notamment les thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles peuvent vous aider (Menzies, 2018). N’hésitez pas à consulter !

Les cycles de vie et de mort :

Car cette angoisse, toute naturelle, peut aussi nous aider à grandir. Paradoxalement, c’est l’idée de la mort qui peut sauver l’individu. Irvin Yalom (1980) nous le dit en ces mots :

« Un déni de la mort à n’importe quel niveau est un déni de notre nature fondamentale et entrave progressivement notre capacité à faire l’expérience consciente de notre vie. L’intégration de l’idée de mort nous sauve ; plutôt que de nous condamner à des existences empreintes de terreur ou de pessimisme, elle agit comme un catalyseur pour nous plonger dans des modes de vie plus authentiques, et elle améliore notre plaisir de vivre notre vie. »

Comme Yalom le dit si bien, nier la mort revient à nier ce qui nous constitue, la nature même du vivant dans ces cycles de vies et de morts perpétuels.

En effet, la mort est présente à chaque instant de la vie.

Autour de nous, avec par exemple le cycle des saisons : en hiver certaines espèces végétales « meurent » pour mieux refleurir au printemps.

En nous, avec le phénomène de l’apoptose, la mort des cellules. A chaque seconde, des cellules meurent pour laisser place à de nouvelles ! Cette mort cellulaire est programmée, nécessaire à la survie. C’est ce qui permet de garder l’équilibre cellulaire, évitant la prolifération des cellules. Cela explique en partie les peaux mortes ou les pertes de cheveux. Ainsi sont également éliminées les cellules devenues inutiles ou incompétentes. Donc quelque part, quelque chose meurt en nous à chaque instant !

Les femmes aussi vivent chaque mois ce cycle de vie et de mort : les menstruations viennent signer la fin d’un cycle et la muqueuse utérine, si savamment tissée, meurt pour laisser place à un nouvel ovocyte, une nouvelle chance de vie.

C’est la loi du vivant : destruction et création. Loi bien comprise par les hindous et symbolisé par la déesse Shiva, divinité hindou de la destruction. Destruction qui apporte avec elle un renouveau, la construction d’un monde neuf, épuré de toutes choses qui n’avait plus leur sens.

Nous le voyons bien : mort et vie sont intrinsèquement liés dès le début.

Naître et mourir viennent d’un même mouvement, comme la respiration avec une inspiration et une expiration. Entre les deux, c’est la peur de l’égo d’être dissous qui crée de l’angoisse.

Pour les peuples racines, lorsque nous mourrons physiquement, nous redevenons une partie du grand Tout. Il s’agit de replacer la mort dans le cycle des générations, « où chacun a pour mission de contribuer à préserver et transmettre l’équilibre du vivant » (F. Van Ingen, 2021).

La mort est une étape selon de nombreux peuples anciens et premiers, comme en Afrique, en Sibérie, les égyptiens, les tibétains, les Kogis d’Amérique Latine, etc. Nous sommes tous des voyageurs et nous traversons la vie. La mort, tout comme la vie sont des passages.

Prendre conscience de ces différents cycles (dans l’environnement, dans les lignées, dans notre corps…) peut permettre d’aborder la mort avec un autre regard, peut-être plus tranquille, puisque celle-ci – et nous aussi – faisons simplement partie d’un cycle.


Comme si nous étions un des organes de la Terre, une de ses cellules. Interdépendant, nous faisons partie du tissus terrestre. Et naturellement, les cellules continuent à se renouveler pour assurer la pérennité du vivant.


Ainsi, l’inscription dans cette multitude de cycles imbriquées les uns dans les autres peut nous faire nous rendre compte du caractère précieux de cette vie-là. Comme le dit Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste vietnamien, « le plus grand miracle n’est pas de voler dans l’air, ni de marcher sur l’eau, mais de vivre sur Terre » (cité par F.-M. Dru, 2020).

La mort rend la vie d’autant plus précieuse


Sans partir dans des réflexions sur la création de l’Univers (certes fascinantes mais trop complexes ici), quel miracle que la Terre existe et possède toutes les caractéristiques nécessaires pour l’émergence de la vie dans ces formes végétales, animales et humaines ! Quel miracle que ce corps qui nous permet d’être là et d’expérimenter l’environnement avec les cinq sens !


Prendre conscience de la mort peut permettre de savourer cette vie-là. Je suis en vie, ici, maintenant. Un jour je vais mourir, mais en attendant, tout les autres jours, je vais vivre. Cette vie s’offre à nous et nous ne savons pas quand elle va se terminer – pour un autre voyage. C’est donc ici et maintenant que nous pouvons être qui nous sommes et vivre pleinement.


D’ailleurs, pour les Maasaï, la mort, « l’autre côté est le reflet de ce que l’on vit ici, donc si on ne vit pas bien, l’autre côté ne sera pas meilleur » nous dit Xavier Péron (cité par F. Van Ingen, 2021), qui a vécu des années avec ce peuple racine. Il s’agit donc de bien vivre dans cette vie-là pour pouvoir quitter cette incarnation en paix.


« Plus vous côtoyez la mort, plus vous aimez la vie, car plus vous êtes conscient de ce qu’est la vie, de ce qu’est cette énergie dans la matière. » nous dit la Princesse Constance de Polignac, initiée par le peuple des Pygmées en Afrique (cité par F. Van Ingen, 2016).

Prendre conscience que cette vie va se terminer invite l’individu à se tourner vers les choses vraiment importantes et à donner à la vie tout son sens. En effet, si la vie était sans fin, ne remettrions-nous pas toujours tout à plus tard, sans aller vers ce qui est important pour nous ? Ou au contraire les choses ne perdraient-elles pas leur goût puisque toujours atteignable à un moment ou à un autre ?

C’est le caractère fini de la vie qui lui procure toute sa saveur.


Vous êtes-vous déjà posé ces questions :


Qu’est-ce que je ferais si je n’avais plus que 6 mois à vivre ?


Qu’est-ce que je voudrais que mes proches disent de moi à mon enterrement ?

Et si je mourrais maintenant, que redouterais-je qu’ils disent ?


Quels conseils donnerais-je à mes petits enfants sur mon lit de mort pour vivre une vie heureuse ?

Non ? Alors allez-y, c’est un des meilleurs moyens pour identifier ce qui est vraiment important pour vous.

Après avoir identifié ce qui compte pour vous, je vous invite à commencer doucement à mettre des choses en place pour créer une vie qui vous ressemble, qui vous fait envie.

Car comme le disait si bien Abraham Lincoln,
« A la fin ce qui compte, ce n’est pas les années qu’il y a eu dans la vie, c’est la vie qu’il y a eu dans les années. »

Bibliographie

Aan de Stegge BM, Tak LM, Rosmalen JGM, Oude Voshaar RC. Death anxiety and its association with hypochondriasis and medically unexplained symptoms: A systematic review. J Psychosom Res. 2018 Dec;115:58-65. doi: 10.1016/j.jpsychores.2018.10.002. Epub 2018 Oct 10. PMID: 30470318.

Abdel-Khalek AM. (2002), Death obsession in egyptian samples: differences among people with anxiety disorders, schizophrenia, addictions, and normals. Death Studies 2002; 26: 413 − 424

Chapouthier, G. (2011). Mort biologique, mort cosmique. Le Carnet PSY, 154(5), 46-48. doi:10.3917/lcp.154.0046.


Dru, F. (2021). Tout est vibration. Leduc.s éditions.


Menzies RE, Sharpe L, Dar-Nimrod I. (2019), The relationship between death anxiety and severity of mental illnesses. Br J Clin Psychol. 2019 Nov;58(4):452-467. doi: 10.1111/bjc.12229. Epub 2019 Jul 18. PMID: 31318066.

Speece, M. W., & Brent, S. B. (1984). Children’s understanding of death: A review of three components of a death concept. Child Development, 55(5), 1671–1686. https://doi.org/10.2307/1129915

Templer DI. (1971), Death anxiety as related to depression and health of retired persons. J Gerontol 1971; 26 (4): 521 − 523

Van Ingen, F. (2016). Sagesses d’ailleurs pour mieux vivre aujourd’hui. Les Liens qui libèrent.


Van Ingen, F. (2020). Ce que les peuples racines ont à nous dire de la santé des hommes et de la santé du monde. Les Liens qui libèrent.


Watter D. (2018), Existential Issues in Sexual Medicine: The Relation Between Death Anxiety and Hypersexuality, Sexual Medicine Reviews, Volume 6, Issue 1, 2018, Pages 3-10, ISSN 2050-0521, https://doi.org/10.1016/j.sxmr.2017.10.004.

Yalom, I. D. (1980). Existential psychotherapy. New York: Basic Books.