La psychothérapie existentielle

La psychothérapie existentielle se définit comme une approche dynamique de la thérapie qui se concentre sur les préoccupations directement liées à l’existence de l’individu [efn_note]Yalom, I. D. (1980). Existential psychotherapy. New York: Basic Books. [/efn_note].

Elle reconnaît l’importance des questions du rapport à l’existence telles que « How do we live? ", " How do we relate to the world, to others and to ourselves ? ", " Why do we suffer ? ", " How do we understand our experiences, life in itself ? " or " What choices do we make ? ». Ces questions existentielles inhérentes à la condition humaine sont déterminantes puisque c’est autour de ces thématiques – souvent inconscientes – que nous nous construisons.

Cependant, ces questions peuvent aussi générer des angoisses. Yalom (1980) nous dit que la confrontation avec ces thématiques existentielles est douloureuse mais finalement salvatrice. La psychothérapie existentielle s’inscrit dans le courant des thérapies psychodynamiques dans le sens où elle reconnaît l’existence de conflits intérieurs – à différents niveaux de la conscience – qui naissent de la confrontation avec les présupposés de l’existence. Yalom (1980) propose quatre thèmes existentiels, caractéristiques de notre condition humaine :

  • notre finitude,
  • la liberté qui entraîne notre entière responsabilité,
  • la solitude existentielle
  • la quête de sens.

L’incapacité à faire face à ces problématiques existentielles serait selon cette approche la cause de certains troubles psychologiques, comme la dépression et l’anxiété. L’individu peut utiliser des mécanismes de défense qui ne sont pas toujours bénéfiques sur du long terme. Nous pouvons, par exemple, avoir recours aux addictions (drogue, sexe, alimentation, jeux…) pour combler un vide, devenir dépendant d’une personne pour oublier notre solitude existentielle, taire notre désir pour ne pas avoir à choisir ou nous noyer sous le travail, nous y sentant indispensable et tout-puissant dans un déni de la mort [efn_note] Semeria, E. (2018). Le harcèlement fusionnel: les ressorts cachés de la dépendance affective. Paris: Albin Michel. [/efn_note].

La posture du thérapeute existentiel

Le but de la thérapie existentielle n’est pas à proprement parler de « guérir » le patient, mais de l’aider à prendre conscience de ce qu’il fait et l’amener à se responsabiliser. La confrontation avec ces questions existentielles, qui réveillent en nous de profondes peurs, permet non seulement de comprendre pourquoi nous agissons de telle ou telle façon, mais aussi d’apprivoiser ces peurs et d’accepter notre condition humaine. La thérapie existentielle ne fuit pas devant ces questions de l’existence, fondatrices de notre humanité, et estime qu’au contraire, c’est en nous y confrontant que nous devenons maîtres de notre destin, que nous acquérons la possibilité de créer et de mener une vie authentique, singulière et sensée. Pour la thérapie existentielle, les clés de la guérison se trouvent dans l’auto-réflexion, l’exploration philosophique, l’expansion de la conscience et l’acceptation de la condition humaine. Au final, nous pouvons dire que ce sont la connaissance de soi et de notre condition humaine qui mènent à la vie « heureuse ».

La thérapie existentielle se propose d’accompagner l’individu dans cette quête de soi afin qu’il puisse « devenir qui il est vraiment ». Cette idée de « devenir ce que nous sommes » rejoint le concept d’individuation de Jung, la tendance auto-réalisante des humanistes comme Maslow et Rogers ou la noodynamique de Frankl. La posture du thérapeute existentiel, similaire à celle du thérapeute humaniste, est alors celle d’un accueil inconditionnel et bienveillant, avec une écoute empathique de la personne. Cependant, pour ne pas tomber dans le piège de l’empathie où le thérapeute s’oublie pour être avec l’autre, la thérapie existentielle met l’accent sur l’authenticité de la rencontre. L’outil du thérapeute, c’est lui-même, c’est son être. Le lien qui se crée entre thérapeute et patient, dans l’« ici et maintenant » du cadre thérapeutique, est ce qui permet le changement (Yalom, 2017, 1980). Une étude célèbre de 1976 a en effet démontré que, peu importe la branche de psychothérapie choisie (psychanalyse, thérapie comportementale et cognitive, systèmie familiale, etc.), le facteur le plus important pour le succès de la thérapie est la qualité de la relation entre patient et thérapeute (cité dans Séméria, 2018). Ainsi, la thérapie existentielle invite le thérapeute à se montrer lui aussi tel qu’il est – un être soumis à la condition humaine – dans les limites du cadre professionnel, afin d’instaurer une relation authentique qui peut permettre réparation, évolution, développement et réalisation du potentiel du patient.

Historique

La psychothérapie existentielle s’est développée dans différents pays à partir de la seconde moitié du vingtième siècle. Elle est issue d’une longue tradition de réflexion sur la condition humaine et s’inscrit autant dans les domaines de la philosophie, de la sociologie, de la spiritualité que de la psychanalyse et la psychologie. De par la disparité des influences et des courants dont elle s’est nourrie, il est difficile de retracer la généalogie de la psychothérapie existentielle. Voici une brève présentation des principales écoles, branches et domaines qui ont nourris et inspirés la psychothérapie existentielle.

La philosophie

Les problématiques soulevées par la psychothérapie existentielle suscitaient déjà l’attention des philosophes grecs comme Socrate, Platon ou Aristote, qui questionnent des notions telles que celles de l’existence, de la connaissance ou de la vie juste. Mais ce sont principalement les courants philosophiques de la phénoménologie (Husserl et Heidegger) et de l’existentialisme (Kierkergaard, Sartre, Camus, Buber…) qui ont ouvert la voie à l’analyse existentielle.

A la phénoménologie, qui est l’étude descriptive d’un ensemble de phénomènes et qui se traduit par une volonté de retour au concret, la thérapie existentielle emprunte l’idée que l’expérience immédiate et le vécu subjectif sont fondamentaux pour l’être humain. Ainsi, l’individu se préoccupe de comment il perçoit et vit les choses dans l’ici-et-maintenant.

L’existentialisme est une philosophie de l’homme qui place l’existence avant l’essence, c’est à dire que « l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après » [efn_note] Sartre, J. P. (1945). L’existentialisme est un humanisme. [/efn_note]. Cela signifie que l’être humain ne vient pas au monde avec un être à développer, mais plutôt qu’il doit le trouver par lui-même. Ce courant de pensée philosophique considère l’homme comme une auto-production, condamné à la liberté, seul dans un Univers sans créateur et par conséquent responsable de qui il est et se définissant par ses engagements et actions. La psychothérapie existentielle a largement été imprégnée de l’idée d’un être humain acteur de sa vie, disposant d’un libre-arbitre et fondamentalement seul.

La psychothérapie humaniste

Cette branche de la psychothérapie s’est développée en réaction à la vision déterministe et réductrice de la psychanalyse freudienne ou adlerienne, où l’individu est considéré comme agi par des pulsions et à la recherche de la satisfaction de ces besoins – sexuels pour Freud et de pouvoir pour Adler [efn_note] Sarfati, G.-E. (2018). Manuel d’analyse existentielle et de logothérapie.[/efn_note]. A contrario, la psychologie humaniste envisage l’homme comme libre, capable de changer et de s’épanouir. Maslow, Rogers ou encore la Gestalt considère que l’être humain représente plus que la somme de ses expériences et est agi par une force interne, une « tendance actualisante »[efn_note] Rogers, C. R., Lewis, M. K., Shlien, J. M., & Wood, J. K. (2013). Therapeut und Klient: Grundlagen der Gesprächpsychotherapie (22. Auflage, un$ 125 gekürzte Ausgabe, Lizenzausgabe der Kindler Verlag GmbH, München; W. M. Pfeiffer, Éd.; [/efn_note] qui le pousse continuellement à se réaliser. Yalom (1980) écrit:

« La psychologie humaniste s’attache principalement aux aptitudes et aux potentialités auxquelles la théorie positiviste ou behavioriste ou encore la théorie psychanalytique ne laissent que peu, voire aucune, place : amour, créativité, soi, croissance, organisme, satisfaction des besoins élémentaires, accomplissement de soi, valeurs morales, être, devenir, spontanéité, jeu, humour (…) »

Au sein du courant humaniste, se développe une nouvelle approche dite existentielle, notamment suite aux travaux de Rollo May[efn_note]May, R. (2015). The meaning of anxiety.[/efn_note], s’articulant autour d’une nouvelle vision de la maladie : l’anxiété est « naturelle » et est un signal pour l’individu, un appel à sa créativité pour qu’il reprenne possession de sa liberté et de sa capacité de choix.
Le focus n’est donc plus placé sur la psychopathologie et sur les symptômes mais sur le développement des potentialités, de la conscience, de l’auto-réalisation et de la rencontre authentique.

La psychanalyse existentielle et humaniste

D’une part, des auteurs issus d’une tradition psychanalytique et psychiatrique, ne formant pas une école de psychothérapie cohésive, tels que Melard Boss ou Ludwig Binswanger ont par leurs écrits nourris l’approche existentielle. Ils nous rappellent l’importance de « rendre conscient l’inconscient » et s’accordent sur la nécessité d’une approche phénoménologique, c’est-à-dire basée sur l’expérience unique et subjective du patient. Le psychiatre suisse Binswanger le résume ainsi « There is not one space and time only, but as many spaces and times as there are subjects » (en français : « Il n’y a pas seulement un espace et une temporalité, mais autant d’espaces et de temporalités que de sujets » cité dans Yalom, 1980, p. 17).

D’autre part, d’autres psychanalystes européens émigrés aux Etats-Unis, qui étaient d’abord formés à l’école freudienne, ont eux aussi élargi leur vision de l’être humain, considérant le modèle freudien comme réducteur, et se sont tournés vers certains aspects qui deviendront essentiels dans la thérapie existentielle (Yalom, 1980, p. 21). Par exemple, Otto Rank a souligné l’importance de la volonté et de l’angoisse de mort. Karen Horney conçoit le futur comme une des motivations premières de l’individu, c’est-à-dire que nous ne sommes pas déterminés par des événements antérieurs mais que nous avons des projets, des idéaux, des buts. Erich Fromm s’est penché sur le concept de la liberté, montrant la peur lié à celle-ci et son influence sur nos comportements.

La logothérapie et l’analyse existentielle de Frankl

L’analyse existentielle et la logothérapie, développée par le psychiatre Viktor Frankl, rescapé des camps de concentrations nazis, place la recherche du sens comme motivation première de l’être humain.
L’analyse existentielle et la logothérapie envisage la condition humaine autour de trois triades, qui décrivent autant les limites que les puissances de l’individu. Celles-ci sont :

  • la triade tragique : souffrance, finitude et culpabilité,
  • la triade anthropologique : liberté de volonté, volonté de sens et sens de la vie,
  • et la triade existentielle : conscience, liberté et responsabilité.

Son approche considère que l’être humain possède une dimension spirituelle, la noésis. Cette dimension spécifiquement humaine est fondamentalement saine et ne tombe pas malade, c’est la part de transcendance de l’être humain, qui nous porte vers quelque chose ou quelqu’un en dehors de soi, qui est à la racine de la recherche du sens. La perte de sens ou l’absence de sens est à l’origine de la souffrance : il y a alors un blocage ou arrêt dans la noodynamique, c’est-à-dire la dynamique de l’existence, la dynamique spirituelle. C’est en mobilisant la noésis – en activant la triade anthropologique et la triade existentielle – que l’être humain parvient à retrouver du sens et à dépasser sa condition humaine. Pour Frankl, il s’agit de reconnaître en nous ce qui est déterminé (la dimension psychosomatique soumise à la triade tragique) et ce qui ne l’est pas : c’est la dimension noétique qui permet de faire preuve de liberté, de responsabilité et qui stimule la quête de sens (Sarfati, 2018).
Frankl fut l’un des premiers à considérer la quête du sens comme l’une des coordonnées essentielles de l’être humain. La psychothérapie existentielle emprunte à Frankl ses réflexions sur la condition humaine ainsi que la façon de s’en distancer, de la dépasser et de donner un sens à sa vie, via la découverte de la noésis.

Ainsi, mêlant ces différentes approches, la psychothérapie existentielle a ouvert un dialogue multidisciplinaire sur notre condition humaine et permet d’appréhender les questionnements liés à l’existence. Prendre conscience de sa condition en tant qu’être humain fait partie d’un travail de connaissance de soi et permet alors de se positionner dans le monde en tant qu’être humain et de se relier aux autres et au monde de façon harmonieuse.

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